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Comment notre imaginaire a construit la représentation de l’Homme préhistorique

Brigitte Fouriot

4 déc. 2023

Vers 1850 naît la préhistoire. Aussitôt, on se passionne pour ce sujet, mais les découvertes sont peu nombreuses. L’imagination va alors combler les vides pour dresser le portait de celui qu’on n'imagine pas encore être notre ancêtre.


Notre imaginaire a construit cette image d’un homme inquiétant, presque bestial, vivant dans un temps qualifié de «temps anté diluvien ou temps anté historique». Au 19e et au 20e siècle l’imaginaire a comblé les vides laissés par une science débutante.

Si dès le 18e siècle les céraunies avait été reconnues comme des outils autrefois façonnés par l’Homme, il faut attendre Boucher de Perthes puis Gabriel de Mortillet pour que naisse la préhistoire vers 1850.


Céraunies perforées d'un trou figurées par Conrad Gesner (1565).

En août 1856, un fragment de crâne est découvert dans une grotte de la vallée de Neandertal en Allemagne, c’est le premier Homme fossile reconnu, d’abord rapproché des singes, puis considéré comme le «précurseur de l’Homme».

Calotte crânienne découverte à Neandertal en 1856.

En 1908, On découvre l’ Homme de la Chapelle aux Saints, squelette presque complet qui sera étudié par Marcelin Boule. Il conclut à un être intermédiaire entre les grands singes et l’Homme moderne.

L’image de cet Homme préhistorique naît dans un contexte évolutionniste. Cette théorie, élaborée, entr’autres, par Darwin imagine un individu d'une brutalité primitive qui évoluera vers la civilité contemporaine ; cette violence innée est nécessaire à sa survie.

D’autres facteurs interviennent : la religion qui est cependant beaucoup moins prégnante et la découverte de populations exotiques que l’on colonisera. Ces « races » donnent des images possibles des races préhistoriques, primitives, sans culture, tout en bas de l’échelle des valeurs.

Enfin, la vulgarisation scientifique va y contribuer grandement. Elle est aux mains de la presse, monde indépendant où les préhistoriens ne peuvent quasiment pas intervenir.

Citons parmi ces vulgarisateurs Henri Raison de Cleuziou (Création de l’ Homme et les premiers âges de l’humanité). Les romans sont nombreux et souvent bien loin de la réalité.


En 1867, l’Exposition Universelle à Paris présente pour la première fois des objets préhistoriques. 

C’est dans cet environnement que vont naître les mythes qui peuplent l’imagination :

C’est une brute au fond bas, il vit dans des cavernes, et à Solutré, il poussait des troupeaux de chevaux du haut de la falaise.


Et la femme préhistorique ? Pour construire son image, il y avait peu d’éléments et peu de préhistoriennes. La première est D. Garrod qui publie ses travaux sur la période paléolithique de la Vallée des Grottes en Palestine et est nommée professeur d'archéologie à Cambridge.

Quels documents possède -t -on ? Pas grand-chose : des statuettes féminines en os, en pierre, en ivoire ; ce sont les « Vénus » . On en compte aujourd’hui environ 250 et leur rôle reste discuté : déesse, amulette, jouet ? On en trouve sur une période de 25000 ans, leur fonction a certainement varié avec le temps.

Vénus de Lespugue ( 1922)

L’imagination va une fois encore compléter ce manque d’information.

La famille préhistorique est perçue comme celle du 19éme siècle : autour de foyer, la femme attend, assise, regarde par terre, l’homme debout, regarde le ciel.



Émile Bayard Famille à l'âge du renne (1870)

Pascal Picq : « L’aube de l’humanité ne semble s’être levé que pour les hommes ».

Les relations homme-femme sont là aussi perçue comme violentes avec parfois une

connotation érotique dans les tableaux (ex Rapt à l’âge de pierre de Janin (1888)), les romans

(ex :La guerre du feu de Rosny Ainé (1909)), les films (ex : Three ages de B. Keaton ( 1920).

Dans les années 1940, sous la pression de mouvements féministes américains, les femmes deviennent à leur tour des héroïnes, mais doivent rester sexy, ce sont des « bimbos en fourrure ».


En bref, la préhistoire est alors une science du pittoresque.


Qu’en est il aujourd’hui ?

Il est très difficile de connaître le sexe des fossiles, l’ ADN parle peu car il est souvent contaminé par de l’ ADN actuel et il est +/- bien conservé.

Notons cependant que Svante Pääbo, paléo généticien a obtenu en 2022 le prix Nobel de médecine et physiologie pour le séquençage du génome néandertalien.

Une étude plus fine des squelettes, des objets et de l’art pariétal donne une tout autre image de nos ancêtres : moins violents, moins chasseurs, peut-être frugivores, voire charognards, présentant peu de dimorphisme sexuel. La femme aurait pu avoir une fonction primordiale dans la pérennité du clan. (voir les travaux de Claudine Cohen et de Marylène Patou-Mathis, entre autres)

Des études sont menées sur les activités artistiques de Néandertal : des découvertes dans les grottes de la Roche-Cotard et de Bruniquel ne laissent aucun doute à ce sujet.

Le Masque de la Roche-Cotard

Conclusion : Après avoir été décrit comme un homme bestial, violent et sans culture, l’homme préhistorique apparaît aujourd’hui peu différent de nous. La femme, elle aussi a vu son statut modifié. Il est possible que l’organisation sociale soit différente : peu d’échanges entre groupes éloignés, peu de transmission d’informations. Cette représentation est vraisemblablement proche de la vérité car les moyens scientifiques sont plus importants et laissent peu de place à l’imagination.


Reconstitution actuelle de l’homme de Spy, Neandertalien (1886)


Il n’y a pas de civilisation « primitive » ni de civilisation « évoluée », il n’y a que des réponses différentes à des problèmes fondamentaux et identiques

Claude Levy Strauss

La pensée sauvage 1962







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