Plus de 800 ans après,
la suite de Fibonacci continue de fasciner
Une réflexion proposée par Jean Béguinot à partir d'un article de D. Dossios, le 23 Novembre 2022
En 1202, Leonardo Pisano introduit au monde occidental la fameuse suite de Fibonacci. À l’occasion du jour de Fibonacci, qui a lieu ce 23 novembre, trois scientifiques de Vancouver tentent d’éclaircir les origines et l’omni-présence de cette suite mathématique dans nos vies.
« Quand je tombe sur un chou romanesco au supermarché, je peux le fixer du regard pendant plusieurs minutes tellement c’est fascinant », s’extasie Nicola Fameli, biophysicien à l’Université de Colombie-Britannique (UBC) et président de l’association savante ARPICO. Mais quelle mouche a bien pu piquer le biophysicien ? Le responsable n’est pas un insecte mais bel et bien une série de nombres très particulière : la suite de Fibonacci.
Comme l’explique Nicola Fameli, lorsque que l’on compte le nombre de spirales qui structurent les bourgeons du chou romanesco, on tombe invariablement sur un nombre de Fibonacci. Il en va de même pour les spirales qui forment la tête d’un tournesol ou le nombre de pétales qui constituent la plupart des fleurs. Les exemples pleuvent en botanique, comme en biologie d’ailleurs, en architecture ou en astronomie, pour ne citer que quelques domaines.
Comprendre la suite de Fibonacci est relativement aisé. « Chaque nombre est le résultat de la somme des deux précédents », exprime le scientifique. En commençant avec 0 et 1, on obtient ainsi 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34… etc. Malgré sa simplicité apparente, les esprits les plus brillants de la planète s’interrogent encore aujourd’hui sur cette série de nombres.
Le retraçage historique de la suite fait partie de ces énigmes irrésolues. Contrairement à ce que son nom suppose, la suite n’a pas été découverte pour la première fois par Fibonacci (de son vrai nom Leonardo Pisano). « Un article scientifique [écrit par un chercheur indien] démontre que la suite de Fibonacci était déjà présente dans la métrique et la poésie indienne en l’an 600 ou 800 après J.-C », raconte Nicola Fameli. Un livre dédié à Fibonacci intitulé The Man of Numbers révèle même que la suite serait apparue autour de 450 et 200 avant J.-C., dans un ouvrage écrit par le mathématicien Indien Pingala.
Des siècles plus tard – vers 1200 après J.-C – Leonardo Pisano découvre le système de mathématique hindo-arabe au cours d’un voyage en Algérie. «Maintenant, est-ce que Fibonacci a pris connaissance de la suite en entrant en contact avec le système de mathématique hindo-arabe, ça nous ne le savons pas», souligne Nicola Fameli. Une chose est toutefois certaine : de ses voyages en Méditerranée, Fibonacci rapportera le système de numérotation arabe que nous utilisons aujourd’hui, provoquant ainsi une véritable révolution mathématique en Europe.
Mère Nature mathématicienne ?
Beaucoup se sont attachés à expliquer pourquoi la suite se retrouve si fréquemment dans notre environnement. La discipline de la botanique offre l’une des explications les plus complètes. Quentin Cronk, professeur de botanique à l’UBC, démystifie l’apparition de la suite dans les tournesols. «Les spirales qui présentent un schéma de Fibonacci, ou qui s’en rapprochent, permettent un empilement très efficace des graines dans la tête du tournesol. La nature sélectionne donc l’emballage le plus efficace et il y en résulte un nombre de Fibonacci», révèle-t-il.
Il explique également pourquoi un dérivé de la suite – appelé «angle d’or» (137,5 degrés) – se retrouve souvent dans l’arrangement du feuillage des plantes. «Chez de nombreuses plantes, les feuilles sont produites successivement avec un décalage de 137,5 degrés par rapport à la dernière feuille. Grâce à cet angle, aucune feuille n’est formée exactement sur une autre, ce qui permet d’éviter d’avoir trop d’ombre», dévoile Quentin Cronk rappelant ainsi la nécessité d’une bonne luminosité pour le déroulement de la photosynthèse.
Selon le professeur, il est toutefois nécessaire de relativiser. L’angle varie généralement entre 130 et 145 degrés. De plus, d’autres angles comme celui de Lucas (99,5 degrés) permettent une bonne luminosité du feuillage.
La Proportion Divine
L’architecture et les arts sont deux autres domaines où l’on retrouve souvent la suite. Elle s’y présente généralement sous une forme géométrique liée au nombre d’or (environ 1,618). Pour retrouver ce nombre, aussi appelé Proportion Divine, il suffit de diviser chaque terme de la suite par celui qui le précède, explique Nicola Fameli. Les résultats obtenus se rapprocheront progressivement du nombre d’or.
«Certaines personnes ont analysé que dans La Joconde, le rapport entre son visage et son cou est un rectangle d’or. Dans une myriade d’exemples en architecture, vous trouvez que la proportion est un rectangle d’or. La façade de Notre-Dame à Paris a cette proportion. Pareille, pour le Panthéon en Grèce», souligne Nicola Fameli qui ajoute
que, selon plusieurs experts, la pyramide de Khéops en Égypte présenterait également le nombre d’or.
Comment expliquer une telle présence de la suite dans l’architecture et les arts ? Le bio-physicien ébauche une explication : «Lorsque nous créons une oeuvre artistique, nous sommes largement inspirés par notre environnement. Si la nature est conçue pour suivre cette séquence, quelle qu’en soit la raison, nous sommes tenus de la copier et de l’intégrer dans notre produit», déclare-t-il.
Encore à découvrir
Malgré tout, la suite de Fibonacci continue à soulever des questions, et chaque année de nouvelles découvertes sont faites à son sujet. En 2008 par exemple, Veselin Jungic – professeur de mathématiques à l’Université de Simon Fraser (SFU) – avait découvert une connexion importante entre la suite et la théorie de Ramsey, un domaine d’étude en combinatoire.
Chou romanesco : Le nombre de spirales qui forment n’importe quel bourgeon du chou romanesco est un nombre de la suite de Fibonacci.
«La suite de Fibonacci est l’un des schémas les plus intéressants en mathématiques. Elle est connue depuis très longtemps : Leonardo Pisano a vécu il y a des siècles. On pourrait donc penser qu’à l’heure actuelle les gens devraient tout savoir sur cette suite, mais c’est loin d’être le cas», s’enthousiasme le professeur.
Il explique ainsi que l’Association Fibonacci, fondatrice de la revue Fibonacci Quarterly organise tous les deux ans des conférences où chercheur·euse·s du monde entier se réunissent pour parler de cette séquence. «La suite est un mystère, mais elle est aussi une source d’inspiration pour les universitaires de partout qui cherchent à trouver d’autres schémas mathématiques pouvant mener à d’autres découvertes», finit par conclure le professeur.
De quoi voir les choux du supermarché d’un tout autre oeil !